dimanche 21 novembre 2010

Mardi 16 novembre

J’entre dans l’autobus. Je salue le chauffeur et lui montre ma carte. À ma gauche, un siège se libère. Je m’y assois. La porte se ferme; l’autobus reprend son parcours. Devant moi, une femme s’agite à la vue d’une étudiante utilisant son cellulaire : « Pitonner en public. Vous parlez d’un manque de respect. » La dame hausse la voix : « Allez-y donc au Mexique vous faire fourrer par des Mexicains, attraper la porcine. Vous êtes pas ben icitte. Moi j’en connais un Mexicain. Il s’appelle Raphaël ou Raphaello. Il est ben icitte lui. Je le vois à Place Ste-Foy. Je hais la ville de Québec. Rien que du braillage et du chialage. Une criss de ville de fantôme. Personne ne m’intéresse, surtout pas les chiens sales de terroristes. Justes des salopes pis des crottés. Tous les pays du monde, je les hais. Je les tuerais tous à coup de fusil, à coup de n’importe quoi. » L’autobus s’immobilise pour accueillir de nouveaux passagers. Un homme entre et se butent les pieds dans un sac. Elle reprend : « Ils sont tellement paquetés en avant qu’ils manquent tomber. Mon Jules aussi y tombait. C’était drôle! Il buvait pis il tombait. Je l’ai fréquenté pendant quatre ans. C’était un homme propre et perfectionniste. Il était perfectionniste, pis il était perfectionniste. Moi, je ne suis pas perfectionniste. Lui, il l’était. Mais un homme c’est bon juste pour le sexe ça. J’en ai pas d’homme dans ma vie. Pas d’homme : pas d’ennui. » Elle se retourne vers moi et constate que je l’écoute. Les autres ne font que l’entendre. Je fouille dans mon sac pour cacher mon intérêt. À la vue de mon Petit Robert, elle lance : « C’est un dictionnaire ça? Le Petit Robert micro, y’a un micro là-dedans? Moi, j’en avais des dictionnaires. Un Larousse, pis je l’ai donné. J’ai pas besoin de ça. Je suis assez instruite. Des fois, quand je veux savoir un mot, j’emmène ma loupe — pas aujourd’hui parce qu’y mouille — une petite loupe. Pis je vais dans une librairie ou une pharmacie pis je regarde dans un dictionnaire. Un dictionnaire déjà ouvert. Là je cherche le mot équation. Je me doute là, mais à un moment donné, je vais aller le chercher à la pharmacie ou à la librairie. » Elle me fixe dans les yeux. Je hoche de la tête. La dame décèle une interrogation dans mon regard et prévient la question qui briserait son monologue : « C’est mes cassettes. C’est des cassettes audio. J’en ai cinq. Je les aime mes cassettes. Des fois, je les écris, mais là je le fais plus, je les écoute. Assimilation plus visualisation égale réalisation. Souvenez-vous de cette équation pour le reste de votre vie. » Elle répète la phrase, l’index en l’air, pendant que je tire la corde d’arrêt de l’autobus. Elle reprend : « Ça veut tout dire ça. C’est assez beau. » Je me lève en lui envoyant un au revoir de la tête. Je sors du bus. De la fenêtre, je le vois poursuivre son discours aux occupants du véhicule de transport.

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